Les deux Angleterre
Analyse de documents en histoire : Croissance et mondialisation du XIX° siècle aux années 30
Après
avoir replacé ce document dans son contexte historique, vous indiquerez
en quoi il nous présente les grandes étapes de la croissance et de la
mondialisation depuis le milieu du XIX° siècle jusque dans les années
30.
Document 1. Les deux Angleterre.
Journaliste
et romancier britannique, John Boynton Priestley (1894-1984) entreprend
en 1934 un périple en Angleterre, pays dont il décrit les multiples
facettes.
« Il
y a l'Angleterre du XIXe siècle, l'Angleterre industrielle du charbon,
du fer, de l'acier, du coton, de la laine, des chemins de fer,[...] des
usines textiles, des fonderies, des entrepôts,[...] un paysage dévasté
avec cynisme de misérables petites villes recouvertes de suie, et plus
noires encore, des villes sinistres semblables à des forteresses. Cette
Angleterre-là forme la plus grande partie des Midlands et du Nord, elle
existe partout.
Quant
à [l'autre] Angleterre, j'en conclus que c'était l'Angleterre
d'après-guerre, qui appartient bien davantage à notre époque qu'à nos
Îles britanniques. L'Amérique, pensai-je, a été son véritable lieu de
naissance. C'est l'Angleterre des routes nationales et des boulevards de
ceinture, des stations-service, et des usines qui ressemblent à des
halls d'exposition, des cinémas géants et des dancings, des magasins
Woolworth (1), des pavillons avec de petits garages, des autocars, de la
TSF (2) (...). C'est le domaine de la production de masse, de la
fabrication à grande échelle, et à prix réduits ».
J. B. Priestley, English Journey, Londres, 1934.
1. Les magasins Woolworth sont une chaîne de grands magasins d'origine américaine.
2. Transmission Sans Fil
Pistes de correction pour l’exercice A. d’histoire.
Ce
document source s’inscrit dans le contexte des années 30 : une
croissance économique brisée par la première grande crise économique
mondiale née en 1929 et qui s’est par la suite diffusée au reste de la
planète. Ce document est un témoignage d’un journaliste anglais John Boynton Priestley. Il nous décrit dans son carnet de voyage, English Journey,publié en 1934, l’Angleterre des années 30 en insistant sur ses inégalités, sociales et culturelles.
L’auteur
oppose dans sa description deux Angleterre et souligne ainsi les
inégalités spatiales de la croissance et du processus
d’industrialisation.
Dans
le premier paragraphe il nous décrit une Angleterre née à la fin du
XVIII° siècle et au début XIX° et correspondant à la première phase
d’industrialisation et de croissance («Il y a l'Angleterre du XIXe siècle ») .En
effet l’Angleterre a été le berceau de la révolution industrielle. Dans
sa description l’auteur nous présente les principales caractéristiques
de la première phase d’industrialisation et de croissance. Celle-ci
repose sur l’utilisation d’une nouvelle source d’énergie : le charbon
une Angleterre («l'Angleterre industrielle du charbon »). Elle repose sur des industries traditionnelles : les industries textiles (« l'Angleterre […] du coton, de la laine, [...] des usines textiles ») et les industries métallurgiques (« l'Angleterre industrielle […] du fer, de l'acier […] des chemins de fer [...] des fonderies »).
L’essor du chemin de fer, suggéré par l’auteur, est lié à la mise au
point d’une nouvelle force motrice : la machine a vapeur. Cet essor a
permis l’unification du marché national. Cette première étape a donné
naissance à un type de paysage particulier : les villes noires du
charbon et de l’acier dominées par les usines (de petite taille
essentiellement) où se concentrent désormais les ouvriers.
Cette
Angleterre ne disparait pas avec l’arrivée d’une seconde phase de
croissance et d’industrialisation. Celle-ci s’impose progressivement à
la fin du XIX° siècle. Elle repose en premier lieu sur une nouvelle
organisation scientifique du travail : la mise au point du taylorisme et
du fordisme (« C'est le domaine de la production de masse, de la fabrication à grande échelle, et à prix réduits. ».
Ces prix réduits sont permis par des gains de productivité sur la main
d’œuvre : chaque ouvrier effectue désormais dans le processus une tâche
précise en un temps limité (taylorisme). Cette productivité importance
est aussi liée à la mécanisation (travail à la chaîne suggéré par
l’auteur lorsqu’il évoque les nouvelles usines «qui ressemblent à des halls d'exposition » )
et à la standardisation de la production (fordisme). Cette stratégie
permet de baisser les prix et donc le développement d’une consommation
de masse nécessaire pour écouler les biens issus d’une production de
masse. Cette consommation de masse est évoquée par l’essor des grandes
chaînes de magasins comme « Woolworth ».
Cette phase est également fondée sur de nouvelles industries : celles
des biens de consommation comme l’industrie automobile ou l’industrie du
cinéma («cinémas géants » […] des pavillons avec de petits garages, des autocars »). Elle repose aussi sur de nouvelles énergies comme le pétrole. L’auteur l’évoque en parlant de « stations-service ».
Cette industrialisation a aussi donné naissance à un nouveau paysage
industriel et urbain : l’essor des grands axes de circulation routière
adaptés à l’automobile, l’essor des premières banlieues pavillonnaires
avec leurs maisons individuelles (« routes nationales et des boulevards de ceinture, des stations-service […] des pavillons).
Elle donne naissance aussi à une civilisation des loisirs : la
réduction des prix permet d’accéder massivement aux loisirs (« des cinémas géants et des dancings », « TSF »).
Ces
phases d’industrialisation et de croissance s’accompagnent aussi du
processus de mondialisation : l’auteur évoque l’essor des réseaux de
communication le chemin de fer au XIX° siècle (premier paragraphe ),
la route au XX° siècle (on pourrait ajouter la maîtrise des mers avec
l’essor des navires à vapeur) mais aussi les réseaux de
télécommunication (TSF) (deuxième paragraphe).
Grâce à ses réseaux, les territoires sont progressivement mis en
relation (mondialisation). La première phase d’industrialisation et de
croissance a permis l’affirmation du Royaume Uni au sein d’une économie-
monde dont elle était le centre. On comprend dans le deuxième
paragraphe que le centre de gravité s’est déplacé. Même si le Royaume
Uni reste une grande puissance industrielle et commerciale, il doit
désormais compter avec un concurrent de poids : les Etats-Unis.
D’ailleurs il précise que cette nouvelle phase de croissance et
d’industrialisation est née aux Etats-Unis (« L'Amérique, pensai-je, a été son véritable lieu de naissance »)
Ce
témoignage nous dresse donc un état des lieux de l’Angleterre au milieu
des années 30. Il permet de comprendre qu’une industrialisation ne
chasse pas l’autre. Les processus peuvent se superposer. On comprend
également que désormais, les Etats-Unis s’affirment de plus en plus
comme le centre de cette nouvelle économie-monde.