Quand le football chinois s’éveillera...
LE MONDE SPORT ET FORME
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Par François Bougon et
Simon Leplâtre (Qinhuangdao, envoyé spécial)
Qinhuangdao n’est pas l’un des sites touristiques les plus connus et les plus courus de Chine. Certes, il y a bien, au nord de cette préfecture de trois millions d’habitants, située à 300 kilomètres de Pékin, cette portion de la Grande Muraille qui s’enfonce dans la mer. Mais le panorama général n’est pas des plus riants : une zone industrielle, un port de commerce et une Bourse au charbon…
Toutefois, depuis cette année, il existe une autre attraction : le club de football Hebei China Fortune FC, qui joue dans le stade construit pour accueillir certains des matchs des Jeux olympiques (JO) en 2008, et qui est devenu l’un des plus ambitieux du pays. Certaines de ses stars sont même venues d’Europe, comme Ezequiel Lavezzi.L’ancien joueur du Paris-Saint-Germain a signé en février un contrat en or : 20 millions d’euros par an, plus 60 000 euros de bonus par match gagné. Il fait de l’attaquant international argentin l’un des joueurs les mieux payés du monde. Mais la discrétion reste de mise. Quand nous le croisons après un match, à la mi-juin, il n’est pas bavard et file dans un monospace aux vitres fumées avec sa jeune interprète.
Tout comme le Hebei Fortune, entraîné par le Chilien Manuel Pellegrini, ancien coach de Manchester City, les clubs chinois sont désormais prêts à tout pour s’offrir des stars. Lors du mercato d’hiver, selon le cabinet Deloitte, le championnat local a battu tous les records, avec presque 400 millions d’euros en transferts, plus que tous les autres, y compris la très riche Premier League anglaise.
Priorité nationale
Pourquoi une telle débauche d’argent dans le football chinois ? Ce sport n’est pas le plus populaire du pays, où l’on pratique plus volontiers le tennis de table, le badminton ou le basket. Mais il compte un supporteur de marque en la personne du secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC) et président de la République populaire, Xi Jinping. Celui-ci a réservé au foot une place de choix dans son « Rêve chinois », un slogan qu’il ne cesse de mettre en avant.
Fan depuis l’enfance, Xi Jinping jouait dans l’équipe de son école, à Pékin. En juillet 2008, alors vice-président et chargé de la préparation des JO, il visite le stade de Qinhuangdao, qui accueillera, un mois plus tard, des matchs de l’épreuve de football masculin.
En tenue de ville, il n’hésite pas à effectuer quelques tirs sur la pelouse. Les images font le tour du monde – tout comme le selfie pris en octobre 2015 par le joueur de Manchester City, l’international argentin Sergio Agüero, en compagnie du même Xi Jinping, et du premier ministre britannique de l’époque, David Cameron.
Le
27 novembre 2014, le foot, jusque-là peu pratiqué, est devenu
obligatoire pour tous les enfants chinois, entrant dans la liste des
sports enseignés à l’école
Depuis son arrivée au pouvoir, fin 2012, M. Xi a fait de la promotion du football une priorité nationale. Car ce sport est susceptible à la fois de mobiliser le pays – une occasion de faire vibrer la corde nationaliste – et de générer des ressources économiques.La Chine veut devenir une « grande nation du sport » et créer, d’ici à dix ans, une industrie représentant 5 000 milliards de yuans (666 milliards d’euros), contre 400 milliards de yuans aujourd’hui (53 milliards d’euros).
En mars 2015, le Conseil des affaires d’Etat (le gouvernement) a publié son « programme général de développement et de réforme du football chinois ». Des objectifs à court, moyen et long termes ont été définis. Il s’agit d’abord de restaurer l’honneur perdu du football, qui après avoir connu un âge d’or dans les années 1990 avait sombré, emporté par la corruption, l’argent facile et les paris truqués.
Pour cela, Pékin veut mettre en place un environnement plus professionnel autant au niveau de la fédération que des clubs, en s’inspirant des exemples étrangers. Ensuite, le pouvoir entend développer la pratique du ballon rond chez les jeunes, placer l’équipe nationale masculine au premier rang en Asie – elle est actuellement 78e au classement mondial FIFA – et faire en sorte que « l’équipe féminine revienne dans les premières places mondiales » – elle est aujourd’hui au treizième rang.
L’ambition ultime est d’arriver au même résultat avec les hommes et de se porter candidat pour l’organisation de la Coupe du monde – l’équipe nationale n’y a participé qu’une seule fois, en 2002, sans guère briller. Les autorités veulent aussi multiplier par dix le nombre d’écoles de type « sport études », spécialisées dans le foot, pour atteindre 50 000 établissements.
Candidature pour le Mondial 2030
En 2011, Xi Jinping a émis trois vœux : voir la Chine se qualifier pour la Coupe du monde, puis l’organiser et, si possible, la gagner. Or, quand le puissant Xi Jinping veut, la Chine peut. Quitte à passer par les « travaux forcés » : le 27 novembre 2014, le foot, jusque-là peu pratiqué, est devenu obligatoire pour tous les enfants chinois, entrant dans la liste des sports enseignés à l’école.
Depuis, plus question de prendre la discipline à la légère, comme ce fut le cas un certain temps. « Avant, dans les compétitions scolaires de football, il y avait des “matchs téléphonés” : les professeurs s’appelaient, et convenaient du score au téléphone pour épargner à leurs élèves un match », se souvient le chargé de communication de la ligue de football scolaire de Shanghaï, Li Li.
Pourquoi truquer des matchs sans aucun enjeu financier ? Parce que la compétition entre les élèves est telle que beaucoup d’établissements avaient pris l’habitude d’utiliser les heures d’éducation physique pour faire réviser les élèves… et ce, dès l’école primaire. « Mais ce n’est plus le cas, affirme-t-il. Aujourd’hui, le foot est pris plus au sérieux : on a lancé la ligue scolaire en 2012. On avait 2 000 élèves qui participaient à l’époque. Aujourd’hui, on a 300 établissements et 15 000 élèves ! »
La candidature pour la Coupe du monde 2030 est déjà presque officielle. « Tous les fans de football chinois ont un rêve : organiser la Coupe du monde en Chine », a déclaré fin septembre Zhang Jian, le vice-président de la Fédération chinoise de football. Si le pays est prêt à patienter jusqu’à 2030, c’est parce que la place est prise jusque-là : après le Qatar en 2022, la Coupe du monde devrait être attribuée à un pays situé hors d’Asie, selon le système de rotation en vigueur à la FIFA.
Le club de Qinhuangdao, Hebei China Fortune FC, a déjà bénéficié des retombées du « rêve » du président. Fondé en 2010, il évoluait entre la troisième et la deuxième division quand le groupe immobilier China Fortune Land Development s’est rapproché. En janvier 2015, le promoteur le rachète.
Il n’existe pas de fair-play financier en Chine, il peut donc investir sans compter pour renouveler ses effectifs. Dès la première saison, son équipe finit deuxième de la Ligue 2, et est donc promue en Super League. En février, le club se montre encore plus ambitieux en faisant exploser les records des transferts : il fait signer successivement Stéphane M’Bia (passé par l’Olympique de Marseille et le FC Séville), Gervinho (Arsenal, AS Roma), Gaël Kakuta (ex-espoir français, acheté par Chelsea à 16 ans), sans oublier, donc, Ezequiel Lavezzi.
Le record est pourtant rapidement battu. Une première fois par le Jiangsu Suning. En février, le club du vendeur d’électroménager Suning (le même qui vient d’acquérir l’Inter Milan) a acheté le milieu brésilien Alex Teixeira, 26 ans, pour 50 millions d’euros au club ukrainien Chakhtar Donetsk. Puis, cet été, par le Shanghaï SIPG, qui a déboursé 55 millions d’euros – troisième plus gros transfert du mercato estival dans le monde – pour arracher l’attaquant brésilien Hulk au Zénith Saint-Pétersbourg.
Les faveur du prince
Certes, voir des grands noms du football en Chine n’est pas une nouveauté. En 2012, déjà, Shanghai Shenhua pouvait se targuer de faire jouer Nicolas Anelka et Didier Drogba. Mais la Chine faisait alors figure de « maison de retraite », où les joueurs allaient finir leur carrière contre un gros chèque. Aujourd’hui, les stars achetées par les clubs chinois sont au pic de leur carrière : Gervinho a 29 ans, Teixeira 26 ans.
A Qinhuangdao, les supporteurs sont globalement ravis. Le jour de notre visite, leur équipe affronte Yanbian Funde, une formation du Jilin, province du Nord-Est qui borde la Corée du Nord. Sur le terrain, le Hebei Fortune domine. « Avant, on était une petite équipe comme Yanbian », juge en connaisseur un supporteur. D’autres sont plus sceptiques : « Lavezzi a grossi depuis qu’il est arrivé », grince un étudiant.
L’excitation des premières journées est en effet retombée. Lavezzi s’est blessé avec sa sélection nationale et reste sur le banc. Et le Hebei Fortune pointe désormais à la sixième place, loin derrière l’indétrônable club de Canton, le Guangzhou Evergrande Taobao FC, baptisé du nom de ses deux propriétaires, un promoteur immobilier – encore un – et le leader chinois du commerce en ligne Alibaba.
Quel est l’intérêt de telles acquisitions pour ces investisseurs ? Selon certains experts, il s’agit de s’attirer les faveurs du prince. « C’est avant tout politique, estime ainsi Christopher Atkins, chroniqueur sur le foot chinois, devenu agent de joueur en Chine. Avec ce qu’ils investissent aujourd’hui, les clubs ne sont pas près de faire des profits. Ce qu’ils gagnent, ce sont des avantages pour leurs affaires, au mieux des déductions fiscales… » Dans une économie encore largement étatique, les faveurs du pouvoir peuvent avoir des retombées très concrètes.
Certains groupes ont même investi à l’étranger. En France, le FC Sochaux et l’AJ Auxerre, deux clubs de Ligue 2, sont sous contrôle chinois. Le fonds d’investissement chinois IDG Capital Partners a aussi pris 20 % du capital d’une des principales formations de l’élite, l’Olympique lyonnais (OL), pour un montant de 100 millions d’euros. Une coentreprise a été créée pour exporter en Chine le savoir-faire de l’OL en matière de formation, en particulier pour monter des écoles de foot.
C’était d’ailleurs un sujet à l’ordre du jour de la troisième session du « dialogue franco-chinois de haut niveau sur les échanges humains » en juin à Paris, explique Maurice Gourdault-Montagne, ambassadeur de France en Chine : « La France a été retenue avec d’autres pays pour la formation. En octobre 2015, 240 professeurs d’éducation physique chinois sont venus en Midi-Pyrénées pour être formés aux techniques d’entraînement. »
Avec ses allures de Disneyland, ses 50 terrains, sa piscine et son cinéma, l’école de foot du Guangzhou Evergrande Taobao FC a coûté 185 millions de dollars : un vrai campus qui accueille 2 800 élèves
Pour les autorités chinoises, favoriser
le développement du sport a une logique économique. Après des années de
croissance accélérée reposant sur les exportations et la main-d’œuvre
à bas coût, l’économie chinoise vit une transition.Prouver son implication
Pékin voudrait voir la consommation intérieure et les services devenir de nouveaux moteurs de la croissance. Ainsi, l’homme le plus riche de Chine, Wang Jianlin, se tourne désormais vers le cinéma, les parcs à thème et le sport après avoir réalisé sa fortune dans l’immobilier.En janvier 2015, il a acquis 20 % de l’Atlético Madrid et, depuis, n’a cessé d’investir dans le foot en Chine : il est un des sponsors de la Super League chinoise. Mais le magnat a mis en garde : « [Le foot] ça peut vous donner de l’influence, mais vous ne gagnerez pas d’argent. Tous les ans, vous brûlez du cash, c’est certain ! Cela attire les regards, cela suscite l’intérêt, mais c’est dur de gagner de l’argent », a-t-il expliqué.
Attirer le regard, c’est ce qu’a réussi l’école de foot du leader du championnat, le Guangzhou Evergrande Taobao FC. Avec ses allures de Disneyland, ses cinquante terrains, sa piscine et son cinéma, elle a coûté 185 millions de dollars : un vrai campus qui accueille 2 800 élèves.
Pour les entraîner, vingt-quatre experts espagnols ont été envoyés par le Real Madrid. « L’école est très impressionnante, explique Christopher Atkins. Avec ça, ils sont sûrs de faire la une des journaux. Que l’école produise ou non des talents, ce n’est pas très important à ce stade. » L’important est de prouver son implication dans le rêve footballistique national.
Lors des JO 2008, la Chine a montré qu’elle savait fabriquer des athlètes. Mais, ces dernières années, ses « usines à champions » sur le modèle communiste ont été critiquées pour leurs pratiques inhumaines. De moins en moins de parents sont prêts à y envoyer leurs enfants.
Mais le risque n’est-il pas que l’industrie du sport et les clubs de football utilisent ces pratiques pour faire émerger une nouvelle génération de joueurs ? Pour l’instant, une chose est sûre : l’académie du foot de Canton n’a aucune peine à recruter, même si, à part quelques talents qui reçoivent des bourses, la plupart des parents paient 60 000 yuans (8 000 euros) par an pour y inscrire leurs enfants.
Source: lemonde.fr
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